Manifeste affirmant le caractère un et divers de la langue d'Oc

Manifeste affirmant le caractère un et divers de la langue et de la culture d’Oc

Les signataires de ce manifeste tiennent à affirmer qu’ils constatent les faits précisés ci-après, et sur lesquels une certaine confusion est parfois entretenue :

- La langue d’Oc ou langue occitane est une langue romane qui s’est développée à partir du bas latin entre les Alpes et les Pyrénées sur un territoire englobant le tiers sud de la France ainsi que des vallées du Piémont italien et le Val d’Aran en Espagne. Comme toutes les langues elle possède de nombreuses variétés régionales qui sont autant de richesses et font qu’on peut la subdiviser en dialectes : le Provençal, le Gascon, le Nord-Occitan (Limousin, Auvergnat et Vivaro-Alpin) et le Languedocien

- L’intercompréhension générale entre ces variétés pour un locuteur qui maîtrise correctement l’une d’elles se fait sans difficulté, dans cet espace d’oc il n’a nullement besoin d’interprète ! Toutefois, le fait que cette langue n’ait jamais été la langue d’un ensemble politique uni, qu’elle ait été longuement confinée dans un usage principalement privé et vernaculaire, entre groupes de proximité, a pu faire croire à quelques observateurs extérieurs ou inattentifs à un émiettement  de cet ensemble en plusieurs langages différents. Certains groupuscules, refusant le consensus de la majorité des linguistes sérieux, vont ainsi jusqu’à prétendre qu’il y aurait non pas une mais plusieurs « langues d’oc ».

- Outre le fait que cette conception linguistique s’oppose aux faits constatés et au consensus scientifique sur la question, elle ignore surtout la réalité culturelle des pays d’Oc. Celle-ci ne se réduit nullement à l’étude de différences phonologiques et lexicales entre parlers ruraux.  Au contraire, cette merveilleuse diversité a toujours été utilisée pour développer une culture ouverte sur l’ensemble des pays d’Oc et sur le monde.

- En effet la langue d’Oc, riche de ses diversités locales sur le plan de la phonétique et du vocabulaire, s’est exprimée depuis un millénaire dans une ambiance d’unité qui s’est avérée d’emblée au Moyen Âge. A cette époque les Troubadours Limousins, Auvergnats, Gascons, Languedociens ou Provençaux participaient tous ensemble à l’élaboration d’une culture prestigieuse que l’on a pu qualifier de « printemps poétique de l’Europe ». Se déplaçant d’un bout à l’autre de l’aire géographique de la Langue d’Oc, ainsi que dans les Cours  de Castille, d’Italie, ou d’Angleterre, voire du Portugal ou d’Allemagne, ces poètes et musiciens raffinés participaient à l’évidence sans aucun cloisonnement au même élan culturel.

C’est dans le même esprit à partir du XIXe siècle que Frédéric Mistral et ses amis ont brillamment relancé ce jaillissement créateur en fondant le Félibrige : un grand mouvement de renaissance culturelle « Des Alpes aux Pyrénées » à résonnance internationale. La fondation de l’Institut d’Etudes Occitanes en 1945 par Ismaël Girard et ses amis n’est que le prolongement et l’amplification de cette même dynamique préfigurée dès 1926 par Joseph d’Arbaud et Ernest Feroul. Cette aventure culturelle, malgré l’hostilité et le mépris qu’elle a trop souvent rencontrés, a contribué indiscutablement à refaire de la langue d’Oc moderne une langue de civilisation et de culture à part entière, illustrée par plus de 1500 auteurs, qui, se basant sur la grande richesse de ses variétés locales, dans une perspective d’unicité de cet ensemble culturel, en ont fait un remarquable outil de pensée et d’écriture qui n’a plus rien à envier à aucune autre langue contemporaine sur le plan du potentiel de description et d’abstraction.

Dans tous les autres domaines de création, musique, spectacle vivant, la langue et la culture d'Oc manifestent leur unité à travers un formidable dynamisme créatif fondé sur l'échange entre les différentes régions : les groupes musicaux gascons, par exemple, loin de se confiner en Béarn-Gascogne, se produisent en tous points du territoire, jusqu'aux Alpes et au-delà, tout comme les Occitans cisalpins ou niçards vont se faire entendre loin vers l'ouest par un auditoire enthousiaste que borne l'océan. Demander, comme le font certains, que les variantes de la langue d'oc soient reconnues comme autant de langues à part entière, c'est briser ce mouvement d'échanges multiples et appeler à un repli mortifère sur soi. Les variantes de la langue d'Oc ne seront pas mieux défendues si elles se recroquevillent sur elles-mêmes en revendiquant chacune pour soi le statut de langues : elles se scléroseront jusqu'au dessèchement. C'est au contraire en s'exprimant dans un cadre plus large qui leur servira de caisse de résonance qu'elles seront pleinement reconnues comme variantes.

La situation de la langue d’Oc est difficile du fait de la politique active d’éradication dont elle fait l’objet depuis trop longtemps et du peu de soutien qu’elle reçoit des pouvoirs publics. Cette situation ne change rien à sa valeur d’outil de pensée et d’écriture. Son potentiel sur le plan de la culture est équivalent à celui de n’importe quelle langue disposant d’un appareil d’état pour la soutenir.

Nous soussignés, acteurs culturels, écrivains et usagers de cette langue, affirmons publiquement notre attachement à cette notion absolument évidente : la langue d’oc est à la fois une et diverse. Notre culture fonctionne comme un vaste ensemble non hiérarchisé « des Alpes aux Pyrénées », « de la mer bleue à la mer verte » en cultivant sa merveilleuse diversité qui constitue une de ses originalités et ne s’oppose en rien à cette ambiance d’unité qui a toujours été la sienne et lui confère également son dynamisme.

Manifeste à l’initiative de la section de langue d’Oc du « PEN international », association mondiale des écrivains pour la liberté d’expression.


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